Alimenter la planète : trois mesures essentielles
Auteur - Renaud Gignac
Les « limites planétaires » offrent un cadre conceptuel scientifique établissant des limites à l’intervention humaine sur le système Terre. Nos systèmes alimentaires respectent-ils ces limites? Ou plutôt, quelles mesures sont nécessaires pour s’assurer que le contenu de nos assiettes ne mette pas en péril les systèmes naturels qui assurent notre survie?
Dans un article scientifique de 2018 publié dans la revue Nature, une équipe de chercheurs menée par le britannique Marco Springmann de l’Université d’Oxford a construit un modèle du système alimentaire mondial et ses impacts environnementaux sur les changements climatiques, les flux d’azote et de phosphore, la consommation d’eau douce, l’utilisation des terres et l’intégrité de la biodiversité. 159 pays ont été inclus, de même que des données sur la production actuelle et prévue de 62 produits agricoles, et des estimations de la demande alimentaire actuelle et future.
Les chercheurs ont ensuite catégorisé les impacts de notre système alimentaire selon trois mesures :
Réduction de 50% du gaspillage alimentaire. Cette cible, qui touche autant les consommateurs que la chaine d’approvisionnement, est en cohérence avec les Objectifs de développement durable de l’ONU;
Mesures technologiques. Un bouquet de mesures technologiques optimisant les rendements agricoles, augmentant l’efficacité de l’utilisation de l’azote, augmentant le recyclage du phosphore, réduisant l’utilisation de l’eau, améliorant la gestion du fumier et réduisant la fermentation entérique du bétail par une alimentation adaptée; et
Régime alimentaire à plus faible teneur en viande et produits laitiers. Un régime alimentaire flexitarien comprenant davantage d’aliments d’origine végétale comme les légumineuses, les noix et les légumes, et limitant la viande rouge à une portion par semaine, la volaille à une demi-portion par jour, et les produits laitiers à une portion par jour.
Les résultats de leur analyse sont présentés dans la Figure 1. Les couleurs et les chiffres indiquent les combinaisons qui se situent sous la borne inférieure des limites planétaires (vert foncé, 1), sous la valeur médiane des limites planétaires (vert pâle, 2), au-dessus de la valeur médiane, mais sous la borne supérieure des limites planétaires (orange, 3) et au-dessus de la borne supérieure des limites planétaires (rouge, 4).
L’analyse de l’équipe de Marco Springmann montre que les mesures technologiques et la réduction du gaspillage alimentaire à elles seules (section supérieure du tableau) ne peuvent permettre au système agroalimentaire de respecter les limites planétaires, en particulier en ce qui a trait aux émissions de GES et à l’application d’azote. En ajoutant les changements d’habitudes alimentaires, il devient possible de respecter l’ensemble des limites planétaires (section inférieure du tableau, ligne du bas). En contrepartie, l’une ou l’autre des mesures prises isolément, ou même une combinaison de deux des trois mesures, n’est pas suffisante. Seules les trois mesures prises ensemble, tels les trois piliers d’une politique agroalimentaire, permettent de respecter toutes les limites planétaires étudiées.
Au Québec, les autorités gouvernementales reconnaissent l’importance de réduire le gaspillage alimentaire et mettent en œuvre une série de mesures technologiques pour réduire l’empreinte environnementale du secteur agroalimentaire, notamment l’optimisation de la fertilisation azotée, une meilleure gestion des sols et la promotion d’une alimentation réduisant les émissions de fermentation entérique des ruminants. Toutefois, aucune politique gouvernementale ne vise l’augmentation de la consommation d’aliments d’origine végétale et la réduction de la consommation de viande et de produits laitiers, une mesure pourtant identifiée dans la littérature comme essentielle pour le respect des limites planétaires.
La Stratégie nationale pour l’achat d’aliments québécois (SNAAQ), qui se limite à encourager l’approvisionnement local par les institutions, mériterait d’être bonifiée à la faveur d’aliments locaux, sains et écoresponsables, ce qui devrait inclure un axe particulier sur les aliments d’origine végétale.
Aussi, une cible de réduction de la consommation d’aliments à haut impact environnemental respectant les exigences nutritionnelles recommandées, à l’instar de la cible de réduction de 40% de produits pétroliers contenue à la Politique énergétique 2030, pourrait être établie. On pourrait aussi penser à des mesures d’incitation comme des campagnes publiques de sensibilisation, un étiquetage environnemental, des lignes directrices sur les achats gouvernementaux, des plans de diversification de protéines dans les établissements de restauration collective, des journées sans viande dans les cafétérias scolaires, des menus végétaux par défaut dans les centres hospitaliers, ou encore des mesures d’écofiscalité. Finalement, la constitution d’un jeu de données sur l’évolution de l’alimentation des Québécois.es, incluant la provenance et l’empreinte environnementale des aliments, combinée à, permettrait de remédier à cet angle mort important des politiques environnementales québécoises.
Pour consulter l’article dans son intégralité : https://climatoscope.ca/article/une-recette-pour-un-climat-stabilise-trois-mesures-pour-recadrer-le-systeme-agroalimentaire-a-linterieur-des-limites-planetaires/